Camille Claudel La chute

Nicolas, nous voilà, dans la suite de notre rendez-vous sur la vie et l’œuvre de Camille Claudel.

C’est ça, une vie, une œuvre.


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Nicolas, nous voilà, dans la suite de notre rendez-vous sur la vie et l’œuvre de Camille Claudel.

C’est ça, une vie, une œuvre.

Et là donc cette deuxième partie tu l’as intitulé la chute, pour se préparer au pire. Je n’aime pas être négatif ou pessimiste mais ceux qui regardaient les œuvres de Camille dès cette époque, ont vu une rupture, une rupture très brutale dans sa manière de faire dans le style.

Chronologiquement là çà, on en est après ?

Là, on est dans les années 1890, la période heureuse avec Rodin est en train de s’achever.

De son fait ou de qui ?

Là aussi, on peut séparer en deux. Artistiquement, en sculpture, elle a sans doute appris tout ce qu’elle devait savoir. Elle a fait le tour de l’atelier. En une dizaine d’années donc, c’est ca ? Oui, en une petite dizaine d’années.

Il y a émancipation. L’élève, certainement, a acquis son autonomie. Certains diraient même qu’elle dépasse le maître. Alors çà bon, à chacun le choix de s’exprimer, mais il y a une rupture tout à fait naturelle dans le monde de l’art, artistiquement.

Elle peut travailler seule, elle n’a plus besoin du couple. Mais c’est surtout aussi, à ce moment-là, tout se fait en même temps, le couple se sépare, de manière très difficile. C’est une relation un peu impossible je t’aime moi non plus.

Les lettres qu’ils échangent, ce n’est pas mon opinion plus ou mon sentiment mais quand on regarde, ce sont deux gros caractères qui s’affrontent, deux grands artistes. Et la place de l’homme je redis, je répète depuis tout à l’heure certainement mais un homme à femme comme Rodin une grande star attire beaucoup les conquêtes féminines et il l’aime sincèrement.

On le voit dans des lettres où il est complètement enflammé, mais ne quittera jamais sa première compagne qu’il finira par épouser. Elle s’appelait Rose Beuret. Elle lui a donné un fils et puis c’est une femme effacée. Elle reste à la maison. Elle sait qu’elle est trompée mais elle accepte. Sa femme ? Oui, sa campagne.

La rupture, elle se fait à travers les œuvres. Ils communiquent à travers les sculptures. C’est ça aussi qui est très beau comme du temps de leur amour, de leur réciprocité où on voyait Camille dans les plus belles œuvres de Rodin.

 

Ça commence avec La Petite Châtelaine.

Je vais en parler un petit peu plus longtemps avec toi parce que c’est une œuvre assez fascinante, un des très beaux portraits d’enfant de cette période. Figure toi qu’on le sait maintenant. Apparemment, on a retrouvé des courriers qui le disent. Elle a été enceinte au moins une fois de Rodin.

C’est un courrier plus précisément de son frère, l’écrivain Paul, à Marie Romain Roland, la femme de l’écrivain, Romain Roland, qui elle-même a dû subir clandestinement un avortement. Et Paul lui répond en ses termes, j’ai quelqu’un de très cher à mon cœur, qui a elle-même commis ce crime. Et on sait rétrospectivement qu’il parle de sa sœur.

Effectivement, elle va avoir un ressenti de plus en plus fort vis-à-vis de Rodin. Je pense que c’est assez symptomatique des personnes qui sont des comme elle écorchées vifs. Elle attendait beaucoup de Rodin et elle tombe à la hauteur de ses espérances. Elle va finir par le détester progressivement avec autant de force qu’elle a pu l’aimer. Elle va à fond, à l’extrême. Et dans la sculpture également d’ailleurs, c’est vrai.

Et, ce qui est intéressant en tout cas, en terme artistique, c’est qu’en sculpture, elle va ouvrir sur l’art autre que celui de Rodin. Et bien La Petite Châtelaine effectivement c’est la première œuvre où on voit paraître un style complètement différent.

Elle va quitter Paris, quand elle quitte Rodin et pendant quelques mois, elle va se reposer, elle fait plusieurs séjours dans le château de l’Islette. C’est sur les bords de Loire, c’est près d’Azay-le-Rideau. D’ailleurs maintenant ce château se visite. Et, elle rencontre la propriétaire, madame Courcelles et elle voit la gamine du propriétaire. C’est une enfant qui a cinq ans.

Evidemment à ce moment-là, elle a un choc, elle a une émotion. Elle est en plein avortement. Elle ne sait pas encore qu’elle ne sera jamais maman, mais elle est touchée par la grâce et la curiosité de cette petite fille. Ca fait écho, tout à fait. Et là, elle fait poser de très nombreuses séances l’enfant et elle a quelque chose de complètement autre dans la surface.

Le traitement de la surface, quand on regarde ici ce très beau marbre, alors je dis très beau très pondu. Par contre, elle manque toujours d’argent. Le morceau de marbre n’est pas de très bonne qualité. Il est irrégulier dans sa texture, il est piqueté il y a des petits trous mais elle va avoir un enfant grâce au marbre d’une très belle expression.

Alors La Petite Châtelaine effectivement, cette sculpture existe par de nombreuses esquisses, en plâtre, d’abord en terre, et puis, elle termine avec quatre versions en marbre. On a dit aussi son goût pour tailler la pierre peut-être aussi pour se démarquer des modeleurs comme Rodin et surtout, elle aime ce retour au classique.

En sculpture, on a parlé du côté plus traditionnel dans la première partie de l’œuvre de Camille Claudel. Il y a ce qu’on appelle le néoflorentinisme. Ce sont les sculpteurs qui s’intéressent beaucoup aux sculpteurs florentins de la renaissance : Donatello, Michel-Ange par exemple et qui regardent également beaucoup vers l’antiquité gréco-romaine. D’où ce caractère lisse et puis aussi cet aspect sculptural.

Cette petite fille, ce buste-là, c’est la plus célèbre des quatre versions en marbre. C’est le seul où la chevelure se détache complètement du bloc formé par la tête. On dirait la dentelle de pierre. C’est fascinant de savoir faire ça, comme tu disais très bien, aller jusqu’à l’extrême. En ajustant mal, on enlève tout un morceau tombé et tout est détruit. Sacré prise de risque. On peut presque comparer au dreadlocks, les tresses africaines. C’est ce que l’on dit souvent d’ailleurs.

En même temps effectivement, le traitement de la surface lisse est patiné d’une manière très spéciale. A ce moment-là, elle va commencer à se renfermer de plus en plus sur elle-même et ne voir que quelques personnes seulement. Et ses œuvres, ce sont comme ses enfants.  Toutes ses œuvres, c’est une partie d’elle-même dont elle a accouché. Et, elle est très possessive. Elle va les patiner, presque les cirer comme un rendu proche de l’albâtre. Elle a une bonne trentaine d’années.

Cette version-ci particulièrement, une autre très belle est conservée au musée Rodin à Paris où il y a une très belle salle consacrée aux œuvres de Camille Claudel. Cette version-ci, elle est conservée au musée de Roubaix. Et à la piscine, les gens en parlent parce que ça a été une grande première. En 1996, elle passe dans une vente aux enchères. C’est juste au moment où il y a le fameux film avec Isabelle Adjani qui a incarné magnifiquement Camille la sculptrice tout comme Depardieu jouait le rôle d’Auguste Rodin.

Et, la ville de Roubaix voulait communiquer autour d’un magnifique portrait d’enfant parce que c’est une ville très jeune et ils voulaient rouvrir leur musée. Le problème c’est le prix très cher. Il y a une souscription publique qui a été organisée, qui a permis de récolter les quelques pourcents manquant de la somme et ça a redonné un élan à ce magnifique musée. Très belle histoire. Oui, très belle histoire effectivement.

Et à ce moment-là, je t’en parle parce qu’effectivement, au moment de l’achat, ce petit buste qui est d’une trentaine de centimètres de haut. Un bloc de pierre de cette taille-là est très lourd. Eh bien non, elle est d’un poids, d’une légèreté déconcertante.

On a compris tout ce suite comment et pourquoi, en retournant la sculpture, figure-toi qu’elle est complètement creuse. Elle a vidé l’intérieur, jusque dans le cou, où on a un cylindre creux. A l’heure actuelle où on se parle, c’est la seule sculpture en pierre taillée au monde qui soit ainsi réalisée.

Pourquoi ?

C’est une bonne question ? On en connaît en plâtre ou en terre. C’est le principe de la terre, on va la cuire, ou le bronze. Elle ne l’a pas expliqué, elle ne le refera jamais, mais alors on peut y mettre deux hypothèses : une qui serait dans une explication artistique à l’époque impressionniste où on joue sur la lumière sur la surface, peut-être faire entrer de la lumière et lui donner de la vie par l’intérieur, avec la transparence du marbre, une fine pellicule.

Sincèrement, je pense plus qu’on est nombreux ainsi à voir, qu’elle va parler, sans le montrer, de son avortement. Elle est creusée elle-même et elle évide sa sculpture, ça symbolise son avortement. Moi, je pense aussi. En tout cas, c’est quelque chose qu’elle ne refera plus. Les cheveux en dentelle, ça elle le pratiquera assez souvent.

C’est une audace qu’elle exprimera régulièrement. Mais ce creusement effectivement c’est le seul moment où on le perçoit dans son œuvre, le drapé également, le socle n’est plus un socle, ça fait partie de la sculpture et c’est toujours aussi ce mouvement, cette sculpture fascinante.

Le portrait de la petite fille va évoluer dans les différentes versions, l’expression, la chevelure. Après, je ne vais pas entrer dans le discours uniquement psychanalytique. C’est intéressant mais il ne faut pas aller dedans. C’est juste un éclairage, il y aurait comme une sorte de transfert de l’artiste. On va en parler un peu mais bon. Historiquement, ça coïncide magnifiquement.

 

Ici, on a une œuvre très belle, les bavardes comme elle les appelle. Dans une petite lettre qu’elle écrit à son frère, elle fait quelques croquis, où elle a dit, ça y est j’ai décidé, je m’émancipe, je vais voler de mes propres ailes, je lâche l’atelier de Rodin et j’ai plein de nouvelles idées.

Il lui décrit en deux trois lignes, des femmes qui discutent dans le train, dans un compartiment voisin un jour quand elle fait un voyage. Et elle fait un petit croquis très illustré avec un paravent, avec quelques autres sculptures en projet comme le bénédicité ou, le vieil aveugle chantant. Et, certaines de ces sculptures n’ont pas été retrouvées.

Est-ce qu’elle les a faites finalement ? On ne sait pas. Est-ce qu’elle les a détruites comme elle le fera pour certaines œuvres. On saura peut-être un jour en tout cas à l’heure d’aujourd’hui on ne sait pas.

En tout cas, une œuvre magnifique, qui a vu le jour, et là encore quand je disais sans vouloir les opposer, la deuxième période de son art est complètement différente de la période Rodin, c’est qu’elle va aller vers quelque chose de, encore une fois très lisse, dans la structure.

Moi je pense à François Pompon, le grand sculpteur animalier du XXème siècle. Lui aussi, il va aller vers l’ouverture du XXème siècle après Rodin. Rodin est un peu volcanique comme je disais tout à l’heure, en surface et c’est l’épure avec Pompon et ici avec ces Causeuses, les Bavardes. Elle travaille avec une pierre extrêmement difficile, c’est l’onyx, c’est très dur à travailler.

Quelle proportion ? Quelle taille ça a ?

C’est une variété de marbre. Ah la taille ? Pardon, excuse-moi. C’est une cinquantaine de centimètres parce qu’effectivement ça coute très cher. Et on en trouve difficilement des grands morceaux.

Quand on a la chance de l’avoir en face de soi, on voit que c’est comme une mille-feuille, plusieurs feuilles de ce matériau, qui sont collées les uns aux autres, et qui sont saturées à la base comme tu peux le voir sur l’image, par une ceinture métallique en bronze doré. Ces petites causeuses, ces petites bavardes, elle va les confiner dans un univers très clos. Et là aussi certainement, ça révèle beaucoup de son caractère.

Tu te souviens peut-être du torse de jeune femme accroupie qu’on voyait tout à l’heure, très agglutinée sur elle-même. C’est très, symptomatique de son propre caractère très renfermé. C’est aussi certainement, on peut imaginer, une raison de leur mésentente avec Rodin, qui était un mondain, qui fréquentait les cocktails et les vernissages. Elle n’est pas du tout dans ces trucs-là. Et Rodin avait une œuvre très ouverte. Quand il faisait des nus féminins, les cuisses étaient ouvertes. C’est extravertie alors que là c’est vraiment introvertie, confinée.

Là, j’oserai sans misogynie de ma part j’espère parler d’une œuvre plus féminine. Rodin a ce côté beaucoup plus érotique beaucoup plus masculin, beaucoup plus viril. Il brutalise, comme on disait d’ailleurs, un peu plus tôt.

 

L’œuvre qu’on peut aujourd’hui voir aussi comme un des chefs d’œuvre, de la carrière de Camille Claudel, c’est très pathétique, c’est le fameux L’Age mûr. Ca s’appelle L’Age mûr.

Cette œuvre est exposée également à l’époque. Très peu sont ceux qui connaissent les différents protagonistes. On voit trois figures. On voit surtout un homme au centre, qui est dans les premières études, ça c’est dommage, ne montre que la dernière version. Au final dans les premières études, cet homme est tiraillé entre deux femmes. Il ne sait choisir laquelle.

Et ce sera le grand drame de Rodin d’ailleurs dans son activité. Et celui de Camille Claudel aussi qui attend, un certain temps. Apparemment, c’est elle qui aurait pris la décision de ne plus le voir. Mais c’est une souffrance pour tous les deux.

Dans les versions à venir successivement, elle va vers de plus en plus de violence. La figure de droite, qu’elle va appeler la pleurante, c’est cette jeune femme qui se jette complètement à terre. Paul Claudel est outré et choqué. Il reconnaît sa sœur, qui se met au pied d’un homme qu’il considère lui-même comme un gougeât certainement. Elle chute complètement.

Et dans les œuvres de Camille Claudel, on n’en a montré qu’une petite dizaine, mais il y a souvent cette idée de la chute du poids. On parlait du mouvement. Ici c’est le mouvement arrêté au moment où la main est lâchée. Et à partir du moment, tout est dit. Dans les premières versions, ils se tiennent encore, il y a encore un espoir.

Et puis ici, cet homme à l’air résigné. Il part vers son destin mais c’est beau. Certains ont évoqué une sorte d’allégorie des âges de la vie. Sauf que la vie, il y a les quatre âges, donc il manquerait une figure pour exactement voir une sorte de métaphore.

Il y a cette femme derrière, qui apparait ici. Quand on regarde bien de manière très expressionniste, un peu comme un monstre, on dirait la mort. Eh bien, c’est certainement une caricature de sa rivale, la fameuse Rose Beuret, qu’elle appelait également la vieille. Evidemment, elle a l’âge de Rodin à peu près donc une bonne vingtaine d’années de plus que Camille.

On y retrouve d’ailleurs un drapé volant, exactement le même drapé, exactement la même porte à faux que le couple de la valse de tout à l’heure qu’on avait regardé dans la première vidéo. Et là aussi finalement, elle travaille à la manière Rodinienne sans le vouloir à son propre insu.

Je m’explique. Rodin, quand il faisait une œuvre d’art, aimait bien s’en resservir ou alors seulement d’un morceau, pour faire la sculpture suivante. Par exemple dans la porte de l’enfer de Rodin, c’est une sorte de compilation de toutes les œuvres de Rodin. Eh bien, elle aussi va commencer, c’est une très bonne formation, ce n’est pas du tout un défaut, à reprendre un bon morceau d’une sculpture pour en réaliser une autre.

Et ici, on retrouve la composition oblique de la valse. On retrouve déjà à l’avant, apparaître la vague qui sera une magnifique sculpture qu’on va regarder juste après. Donc les œuvres se répondent et s’enchainent l’une l’autre.

Cette œuvre avait été normalement commandée par l’Etat. Et puis encore une fois déception, l’Etat refuse d’honorer sa commande. Et c’est un militaire, c’est le capitaine Tissier, qui sur ses propres deniers, va être son mécène et qui lui permettra de faire cette version que l’on regarde en bronze ici qui sera tirée dans le métal en deux morceaux.

Et c’est très intéressant techniquement parce que c’est une pièce d’une très grande taille. Là par contre, elle est, pas loin d’un mètre de haut. Elle est faite en deux temps. Il y a deux sculptures, le groupe de gauche, on va les appeler ainsi, et puis la pleurante qui est seule et isolée.

Et effectivement, on peut séparer la sculpture en deux. Et dans l’intimité qu’elle évoque ici, c’est tout à fait ça finalement. Si on veut, la pleurante, on peut même la mettre de dos renversé au couple qui part vivre sa propre vie sans plus jamais être en lien. C’est là où la technique, le sujet et le style collent complètement, rejoint la personne, son histoire.

Le fond chez Camille Claudel est très important. Evidemment, les grands artistes ont beaucoup de choses à dire. Ils se nourrissent de leur propre intimité. Et chez Camille Claudel, c’est toujours ce principe même de création, être à l’écoute de son propre moi, je dirais.

 

Quelle œuvre magnifique, La Vague.

Donne-moi les proportions ?

Alors La Vague elle fait également, je fais le geste parce que je me souviens l’avoir vu l’année dernière dans une très belle rétrospective. Cette version-ci en onyx et en bronze et en marbre pour le socle, elle doit faire une bonne cinquantaine de centimètres depuis la table. Et c’est une œuvre qui est dans l’ère du temps, j’ai envie de dire.

Elle va être dans l’époque art nouveau où on est beaucoup fasciné par le japonisme, et notamment cette fameuse estampe japonaise, la fameuse vague d’Hokusai. Beaucoup d’artistes vont la reprendre. C’est une œuvre très forte.

Tout à l’heure, on parlait également de son amitié avec le musicien Debussy. Je pense à la mère de Debussy, qui est cette musique, qui également est très forte. Quand elle ne voit plus Rodin, qu’elle tombe dans cette dépression, elle aime beaucoup avec lui, Debussy, visiter les expositions internationales.

Elle fréquente beaucoup les pavillons exotiques, l’art de l’Asie. Et c’est vraiment sans doute le fuit de ce moment-là qu’elle montre ici dans cette œuvre qui est tout à fait dans l’esprit japonais où la nature est la reine. Elle domine l’homme, elle est indomptable. On peut voir le mont Fuji également. L’homme est un microcosme à l’échelle par rapport à la force et l’âge de la terre.

Ici, c’est complètement rendu dans cette très belle œuvre. Camille l’a bien comprise. On pourrait l’appeler le tsunami si on veut faire un jeu de mots un petit peu facile.

Quand je parlais du mouvement tout à l’heure avec elle, Rodin en a parlé un petit peu ce mouvement continu qui ne s’arrête jamais. Ici, elle arrête le mouvement au moment du drame, juste au moment de la chute. On en a parlé avec la valseuse. Si la main se lâche, elle tombe. Ici, ce sont encore une fois les causeuses qu’on a vu avec le paravent tout à l’heure.

Elle reprend cette petite bonne femme qu’elle-même le dit, et elle en enlève une. On a l’impression qu’elles étaient tellement occupées à bavarder que, juste au moment, il y a de l’humour, il y a du drame, elles n’ont pas vu arriver la vague.

Et là, il y a quelque chose de monstrueux dans ce bloc en onyx. Et quand on regarde de près, quand on zoome au niveau des pieds, ils s’enfoncent, elle fait un petit trou, elle ménage un petit trou dans la pierre pour signifier que l’eau monte déjà jusqu’en haut des chevilles de ces jeunes femmes. C’est extrêmement bien entendu.

C’est étrange, on est fasciné par la beauté, la puissance, la force, le drame. Pourquoi ce sujet ? Elle s’y retrouve parfaitement artistiquement et puis aussi psychologiquement dans ce sujet-là.

Donc en histoire de l’art, ça fait date, c’est on a l’habitude de dire la première sculpture d’assemblage où on associe plusieurs matériaux. Et ensuite, là aussi elle ouvre une grande porte pour le XXème siècle ou ensuite les Picasso et quelques autres, ils sont très nombreux à pratiquer cette manière-là.

Donc une œuvre oui, d’une très grande beauté sans doute, mais d’une grande modernité.

 

Tu nous proposes un dernier œuvre et c’est aussi la dernière œuvre de Camille. C’est Persée et la gorgone. Quel symbole !

Cette sculpture, elle est en marbre, celle qu’on regarde, un des rares marbres qu’elle aura l’occasion d’exécuter. Elle a quand même quelques commandes mais trop peu. Et là c’en est une. Il y a une commande effectivement. Il y a la famille Rothschild qui va l’aider un peu, la comtesse de Maigret également, et c’est cette dernière qui lui commande cette sculpture.

Ce qui est d’ailleurs un sujet très classique, la gorgone percée, tu te souviens, on rappelle en deux mots. Mais c’est très intéressant surtout quand on parle de sculpture. C’est celle qui va transformer en pierre, rien que par le regard pétrifié. Et donc pour la décapiter tout simplement, le subterfuge, Persée va utiliser le jeu du miroir. Ainsi, Camille Claudel va réaliser cette sculpture qui est lourde de sens pour elle.

On y va sans le symbolique. Explique-nous.

Quand on regarde bien le visage de cette gorgone qui est monstrueuse, Persée la tient à la main, elle est tout dégoulinante de sang, le reste du corps est au pied, cette sculpture est extrêmement dérangeante, c’est gore, c’est une décapitation.

Paul, le premier, son frère a reconnu un autoportrait de Camille Claudel. Elle s’est sculptée elle-même. Allez, on tente un jeu de mots un peu facile. C’est comme si elle montrait qu’était en train de perdre la tête d’une certaine manière.

Peut-être que pour elle, celui qui l’aurait décapité, d’une certaine manière, par le fait de ne plus la regarder, c’est Rodin, dont l’ombre plane encore tellement dans ses souvenirs. Et là, la manière de faire en même temps est très déroutante parce qu’elle est d’un très grand classicisme qui n’est pas sans rappeler les sculpteurs florentins de la renaissance qu’elle apprécie énormément dont on parlait tout à l’heure, le David de Michel-Ange notamment.

Une œuvre de sa jeunesse également, elle avait fait un David et Goliath  quand elle avait douze treize ans, en terre. Evidemment, cette œuvre est en poussière, elle a disparue, mais on a gardé un petit commentaire qui en parle. Et quand on relit ce texte, on a l’impression qu’on est en train de regarder Persée et la gorgone. Donc c’est comme un retour à un sujet qu’elle crée depuis l’enfance. La boucle est bouclée. Et c’est sa dernière sculpture.

La famille s’inquiète à ce moment-là dans son comportement qui est de plus en plus c’est même plus qu’étrange. Dans son atelier, elle est complètement retranchée, elle ne sort plus, elle ne se lave plus, elle ne mange pratiquement pas, elle boit surtout, et elle tient des propos incohérents. Elle écrit des lettres de dénonciations insensées et elle accuse toujours de tous les mots Rodin qui est le grand organisateur de son malheur. C’est de la paranoïa.

Tout va s’enchainer très rapidement parce que son papa décède en 1913. Le papa c’était son plus fidèle défenseur. Et dans cette succession familiale, lors du conseil de famille, il y est question du cas Camille. Que faire avec elle ? Il faut l’aider.

L’internement d’office dans un premier temps est une aide médicale évidemment. Maintenant, de là à l’interner jusqu’aux restes de ses jours, il y a un pas. Et, elle est enlevée chez elle, on peut parler d’une sorte de kidnapping. En tout cas, les journaux à l’époque en parleront un tel de la même manière.

C’est très dramatique parce qu’elle-même ne comprend pas pourquoi. Elle n’est pas tout le temps délirante dans ses propos et dans ses attitudes, mais on ne lui laisse pas le choix. Elle avait une place qui n’était pas celle qui aurait dû être la sienne au sein de cette famille conservatrice. Oui, elle dérange. Elle n’est pas mariée, elle n’a pas d’enfant, elle n’est pas autonome financièrement. Sa maman a peur du scandale aussi certainement.

En 1913, elle est d’abord internée en région parisienne, ça s’appelle Ville-Evrard. La guerre arrive, on va l’interner ensuite à Villeneuve, près d’Avignon où elle va mourir difficilement presque de faim en 1943 pendant la guerre. Combien de temps ? Une trentaine d’années. Elle meure vieille d’ailleurs, malheureusement pour elle.

Et elle ne sculptait pas du tout pendant trente ans ? Elle a tout arrêté

Non, il n’y a pas de sculpture, ce qui est dommage parce qu’elle en aurait été capable. Le médecin lui a proposé. C’est elle-même d’office qui a rejeté la demande pensant qu’il était envoyé par Rodin donc la paranoïa qui continue. Elle aurait pu sortir, au moins deux fois le médecin propose de tenter une sortie puisqu’elle est très calme. Même si elle pense être empoisonnée à l’hôpital, son comportement est tout à fait digne de tenter une sortie.

Et c’est la maman qui refusera, cette maman qui elle-même n’a jamais eu beaucoup de tendresse pour ses enfants. Ils se sont ratés.

Triste fin effectivement, Paul vient le seul, une dizaine de fois en trente ans. Il a peur de cette fragilité de sa sœur, il est souvent en voyage. C’est un vrai drame, la fin est un calvaire mais le message de l’œuvre de sa vie, pour finir sur une note un peu plus optimiste, bien sûr c’est la force de son caractère malgré tout jusqu’au bout.

C’est quelque chose qu’on peut sans doute retenir comme une grande leçon de caractère, faire ce que l’on veut dans la vie quelle que soit l’adversité, sans compromis, de se donner tous les moyens de réussir. Et là, j’ouvrirai aussi par rapport à la place de la femme et dans la société mais aussi dans le monde de l’art. Et là, après Camille Claudel, la situation sera beaucoup moins difficile, un pas de franchi.

C’est une héroïne Camille Claudel en fait, qu’on voit dans certains films et quelques grandes histoires.

Super l’histoire, un roman quoi, très riche. Merci beaucoup, on se retrouve avec Nicolas très prochainement pour plein d’autres découvertes tout aussi passionnantes.

Discipline Conférences
Difficulté Initiation
Genre Les Conférences
Durée de la Vidéo 28mn53

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