Alors Nicolas, tu nous as fait découvrir ou redécouvrir l’homme des arts, le peindre. Là on va parler de l’homme des sciences. Léonard, l’homme de science.
Léonard l’homme des sciences. Voilà.
Comment on attaque le sujet ?
Un artiste plus intime.
D’accord.
Parce que là on va fouiller dans ses carnets.
Ah oui.
Les multiples carnets de Leonard de Vinci.
Alors il a écrit toute sa vie. Et pendant sa période de maturité, il écrivait jusqu’à trois pages par jour dans ce carnet où il notait tout, aussi bien des anecdotes comme sa liste de courses. Il fallait acheter du pain ou des petites bêtises enfin des choses.
Il note tout ?
Il écrivait tout dans ce carnet. Donc il faut un peu trier. Ces carnets sont extrêmement précieux pour lui. Il les garde jusqu’à sa mort. Ce sont ses élèves qui vont les faire publier. Mais effectivement ils cachent certaines trouvailles, certaines recherches qui sont des sujets parfois sensibles : liés aux armements, liés à la science.
Alors on va regarder si tu veux un premier dessin qui montre une étude de l’eau. L’eau, un des quatre éléments qui le fascinent beaucoup c’est le mouvement de l’eau. Et à force de patience, il arrive à qualifier l’eau comme une quantité continue en mouvement et de savoir exprimer son mouvement.
On le verra d’ailleurs dans beaucoup de ses peintures. C’est une recherche qui va d’ailleurs donner parallèle à celle des boucles de cheveux. Quand il voit le mouvement en spirale, il fait un parallèle entre le mouvement en spirale de l’eau et celui également des boucles de cheveux. De même également la spirale qu’il étudiera d’un ressort. Finalement, il va s’intéresser à tout dans le domaine de la vie.
Curiosité incroyable quoi.
Curiosité à toutes les choses de la vie. Mais également essayer de faire des rapprochements entre les objets, les sujets, les techniques, des passerelles quelquefois.
Une autre grande spécialité de Léonard qu’on connait moins mais il est aussi quelqu’un de passionné par la recherche de l’ingénierie militaire. Quand il a travaillé pour Ludovic Sforza, on en avait parlé un petit peu dans la première vidéo, il sait très bien que c’est un condottière. C’est un chef militaire. Et donc il lui commandera certes des peintures mais surtout il a besoin de quelqu’un qui sache lui fabriquer des armes défensives comme offensives.
D’accord.
Et Leonard est très compétent dans ce type de recherche qui l’intéresse beaucoup il faut le dire. Même si c’est un grand humaniste Leonard, quelquefois il est un peu rattrapé par sa machine. Il hésite à publier des recherches parce qu’il se dit si elles sont mises entre de mauvaises mains, ça peut être une catastrophe humaine. Ça peut être un massacre. Alors ici on le voit par exemple dans ce dessin, étudier un modèle d’une arbalète.
Oui.
Alors quand tu vois la taille humaine, elle est gigantesque. Elle faisait de l’ordre de 24 mètres de …
C’est comme une catapulte de flèche
C’est ça. Elle devait tirer à la vitesse d’une balle qu’on tire d’un pistolet. C’est une arme extrêmement redoutable.
Et il l’a fait ?
On ne sait pas justement. C’est une très bonne question. On ne sait pas, il n’y a pas eu de témoignage documenté à ce sujet. Mais on voit qu’il étudie le phénomène de manière très fine.
On sait que c’est un très bon dessinateur, c’est un excellent observateur et il a le rôle un peu de l’ingénieur c’est-à-dire du designer qui regarde sous plusieurs facettes et qui nous explique vraiment comment sa machine devra fonctionner en faisant le focus sur un détail. La mise en mouvement pour bander l’arbalète par exemple, combien d’hommes sont nécessaires.
Il pose toutes les bonnes questions finalement. Donc effectivement, si elle n’a pas été fabriquée, on ne sait pas. En tout cas, elle peut l’être très facilement grâce à ce petit dessin qui donne toutes les mesures.
Le dessin suivant nous montre une catapulte donc effectivement tu étais dans le vrai. Et d’ailleurs quand on regarde celle qui a été fabriqué d’après les dessins de Leonard, elle fonctionne. La plupart du temps les machines qu’il dessine, on s’amuse aujourd’hui à les fabriquer et elle catapulte effectivement des objets avec une force, une puissance destructrice assez efficace.
C’est beau.
Il a été en même temps … oui, la technique est belle. Mais effectivement il était très désappointé certainement de constater que l’âme humaine a un fond parfois très mauvais. Et que malheureusement il aurait certainement préféré consacrer une bonne partie de son temps dans des recherches plus positivistes, à faire avancer le bien de l’humanité.
Il aura l’occasion quelquefois d’aller dans ce sens-là mais malheureusement, la plupart du temps, ses capacités étaient utilisées dans des actions négatives. D’où la présence dans ses nombreux carnets de dessin de ces canons. Et les canons effectivement il aura plusieurs fois l’occasion …
Les canons existaient ?
Les canons existaient.
Donc il les perfectionnait ? Il en a inventé des différents ?
Alors il en a dessiné des nouveaux mais effectivement il sera souvent confronté à cette question-là quand on avait évoqué le cheval gigantesque de bronze à Milan. Son œuvre ne verra pas le jour parce qu’on va fondre les canons à la place. Alors l’ironie je ne sais pas si c’étaient des canons dessinés par Leonard. C’est ce que je lui souhaite en tout cas. Ça pouvait lui permettre d’accepter plus facilement que le bronze soit utilisé dans ces fins-là.
Une machine assez incroyable, il a une imagination débordante. Ce cavalier, c’est toute une structure environnante puisque devant lui, quand il se met en mouvement, toujours le mouvement chez Leonard, la motricité est étudiée de manière …
L’énergie.
L’énergie. C’est quand le cheval se met en mouvement que la machine devant lui se met à tournoyer sur elle-même. Et ce sont des lames pointues qui vont tuer. On le voit d’ailleurs ici. Il a dessiné des personnages qui sont transpercés voilà par ces lames qui pouvaient couper et percer enfin tuer toute une rangée d’assaillants. On peut imaginer qu’on peut percer une ligne …
Ah oui tu creuse à travers une ligne humaine.
Et puis tu pars à tes arrières également parce qu’à l’arrière également il a pensé à se protéger avec une autre série qui … ça ressemble à une encre en tout cas ces deux arcs métalliques.
Alors ça on ne sait pas si c’était sur commande, si ?
Alors il fait beaucoup de recherche pour Ludovic Sforza, c’est vrai, qui est un chef militaire avant d’être un grand commanditaire artistique.
D’accord.
Là où il a plus travaillé dans l’art, c’est pour la famille Médicis. Mais à Milan effectivement, là il y a plus de recherches militaires qui sont son lot quotidien. En même temps, il sera artificier de grande fête. Là on peut lier la recherche militaire autour du feu à l’art du spectacle. Et en même temps, ça peut enrichir voilà la recherche de savoir en terme d’explosif qui peut être utile lors d’un siège militaire. Comment saper les défenses d’une forteresse, etc.
Cet autre outil également qui est un métier à tisser réalisé à partir de dessins de Léonard. Et ça, c’est très intéressant parce qu’il a beaucoup cherché par ces machines inventées à soulager le travail humain et animal.
D’accord.
Et cette machine qui fonctionne réellement elle tisse très bien d’ailleurs, elle ne sera exploitée que des siècles après lors de la révolution industrielle au 19e siècle. C’est fascinant de voir que finalement, dans tous ces carnets de dessin qui sont longtemps restés dans l’ombre, parce qu’effectivement, c’étaient des secrets qu’il ne donnait pas à n’importe qui.
Certains étaient vendus, c’était un peu de l’espionnage d’aller fouiller dans ces carnets de croquis. Mais certains vont connaitre des applications bien plus récemment dans la révolution industrielle où là, la productivité sera accrue. Et ce modèle là en est un très bel exemple. Métier à tisser d’après un dessin de Leonard de Vinci.
Et puis ce modèle de scaphandrier.
Oh écoute.
On parlait de sa réflexion autour de la question de l’eau. Et ici il conçoit une machine qui permet de descendre sous l’eau, de respirer sous l’eau. Et ainsi …
C’est lesté en plus.
Oui c’est lesté effectivement. Alors il y a des outres qui sont vides mais qui ensuite vont se gonfler d’air comme il l’explique dans son carnet, permettant ainsi malgré le poids au scaphandrier de remonter à la surface.
Il explique qu’il faut aussi fabriquer des petites lunettes de verre pour que le scaphandrier puisse en même temps voir. Ce n’est pas le fait de tout de descendre dans l’eau, sous l’eau, c’est aussi de voir et de témoigner de tout ce que l’on a pu voir.
D’accord.
Alors il y a aussi des recherches de machines sous-marines qu’on peut lier facilement à ce qu’on appelle le sous-marin. Mais là, il était … il y avait une crainte prémonitoire, c’est que toutes ces belles inventions, en tout cas lui conçut dans le bon esprit, soient utilisées par de mauvaises mains pour détruire très facilement finalement n’importe quel bateau. Et donc ça il ne le destinait pas à le montrer.
Alors après l’eau, il y a l’air.
Le vol et ce qu’il a voulu certainement ce en quoi il a le plus rêver, je crois que c’est le vol humain : maitriser la résistance de l’air. Et d’ailleurs c’est un des premiers souvenirs, c’est une anecdote qu’il raconte également dans ses souvenirs. On ne sait pas si c’est vrai mais il dit que dans son berceau, il y a un aigle qui est descendu et il s’en souvient et dès lors, il a été fasciné par le vol animal, le vol aviaire.
Et il a essayé dans ses recherches de comprendre comment et pourquoi l’oiseau arrive à voler. La résistance, la force des ailes, le portage, et il essaie d’appliquer ca à l’homme. Ca a donné ces machines volantes. Alors au départ il a essayé de coller des ailes aux bras humains. Finalement c’est un échec. Ici il s’inspire pour cette machine qui ressemble un peu au deltaplane aux ailes de la chauve-souris qui pour lui est mieux adapté que l’aigle.
Au départ, il avait pensé à l’aigle et puis finalement, la chauve-souris a une portance et une résistance bien plus grande. Et c’est ainsi qu’il propose dans ce dessin … on a essayé de traduire cela effectivement ça vole. Ce n’est pas la meilleure machine pour voler mais elle peut le faire.
Et puis alors ce qu’on appelle être l’ancêtre de l’hélicoptère qu’on attribue à Leonard. Alors effectivement, il pose les premières bases. Après, peut-être, moi je ne suis pas spécialiste des sciences, de là à dire qu’il invente l’hélicoptère, c’est beaucoup dire parce que cette machine, les techniciens le disent, si on la fabrique, elle tourne sur elle-même mais elle ne vole pas. Bon, il y a un problème de réglage certainement à trouver, qui n’est pas mis au point ici.
C’est la cabine qui tourne
C’est la cabine qui tourne sur elle-même. Par contre, elle ne décolle pas mais bon, après il manquait certainement de moyens techniques pour affiner cette recherche mais il pose les premières bases. C’est très intéressant pour la suite de la recherche dans les siècles à venir.
Et puis surtout c’est l’anatomie humaine dans laquelle il excelle particulièrement. On l’a rapidement dit tout à l’heure quand on regardait les images mais l’expression corporelle, les gestes des mains, le visage, la colère dans la bataille. Il étudie tout ce qui est à l’extérieur de l’anatomie mais également l’intérieur. Et c’est un des premiers à faire des dissections sur des cadavres.
A l’époque, il faut bien se dire, quand il est Leonard le scientifique, en porte à faux avec les croyances de son temps. Il faut bien comprendre que quelquefois, c’est surtout l’église également qui surveille la science. Il y a ce que l’église dit et ce que la science découvre. Et là, entre les deux, quelquefois c’est un dialogue de sourd. Faire des dissections, c’est interdit sauf quand il s’agit de cadavres de prisonnier qui ont été condamnés à mort.
C’est une activité qui se pratique en hiver, extrêmement dure. En été, ça ne tient pas les cadavres. C’est extrêmement écœurant. Il le dit dans ses carnets.
Mais c’est la seule façon de …
D’étudier un cœur humain …
De décrire les organes au fur et à mesure.
Tout à fait. Et de comprendre le fonctionnement interne qu’il compare d’ailleurs au rythme de la nature. Quand il ouvre le cœur, il voit qu’il y a un lac de sang qu’il compare à un lac qu’on peut trouver dans la nature. Et ce cœur qui se met en mouvement, il comprend qu’il y a des valves qui vont amener un sang neuf et expulser un sang ancien.
Ça il le trouve tout ça ?
Il arrive à trouver. C’est l’empirisme. Ce sont des recherches alors il observe très bien. Il a le cœur bien accroché je veux dire. Mais en même temps, il a un sens du dessin très précis. Ça pourrait encore apparemment aujourd’hui illustrer des livres d’anatomie pour les étudiants en médecine. C’est évident.
Il a même étudié un fœtus dans l’utérus de la femme. Ça c’est une grande première je pense. Comment le fœtus se nourrit-il ? Les différents stades de son développement. Tout ça il arrive à le comprendre de façon bien imparfaite par rapport à tout ce qu’il a aujourd’hui. D’ailleurs encore aujourd’hui, il y a des mystères du corps humain qu’on ignore complètement.
Mais quand même, ça craint, on peut dire ça.
Mais … Et ça, ce sont des recherches qui entre guillemet auront des applications dans son art de peintre qu’on a regardé bien également parce que connaitre l’intérieur permet de mieux l’exprimer extérieurement.
Et puis tout se fait par calcul, de retrouver des proportions du corps humain. Pourquoi un visage est beau ? Il y a une règle de proportion certainement, d’équilibre entre … On n’a jamais un visage symétrique mais il essaye toujours de trouver effectivement des rapports entre la taille, la distance par rapport au nez du menton, par rapport au front, l’écartement des yeux.
Tout ça, on le voit au dessin ça.
Tout ça est mis en chiffre et donne une série de calculs. Et il va ensuite s’amuser.
Des ordres de grandeur.
Voilà, des ordres de grandeur à déformer. Et c’est là qu’il va dans le visage de la colère où les yeux deviennent plus petits, la bouche s’agrandit. Et tout ça est mesuré et observé.
Super.
Et ça nous donne le dernier dessin qui est peut-être le plus connu mais qui cache un peu tous les autres.
Il cache … oui bien sûr.
Il doit au contraire nous donner envie d’ouvrir les autres pages de ses carnets. L’homme de Vitruve qu’il reprend. Vitruve c’était l’architecte de l’empereur Auguste dans l’antiquité romaine, et qui avait également fait un calcul où l’homme était la base de ce calcul, ce que reprendra très bien d’ailleurs le Corbusier dans l’architecture du 20e siècle avec ce qu’il appelle le Modulor, le Modulor étant la figure humaine.
Le Modulor qui avait le bras levé permettait de calculer certaines élévations, certains chiffrages.
D’accord.
Et là ici Leonard le reprend dans un cercle et dans un carré. Alors dire que c’est un humaniste de la renaissance, bien sûr on redécouvre l’antique en essayant d’aller un peu plus loin que les bases qu’ils ont posé à cette époque.
D’accord.
Donc l’homme inscrit dans un carré qui symbolise la terre mais aussi dans un cercle qui symbolise l’univers. Et là il y a les deux éléments. Il y a à la fois le côté pour l’homme, le corps et l’esprit qui vont se résumer dans cette image qui est d’une parfaite géométrie également.
Super. Ça aussi connu dans le monde entier.
Ah oui, tout à fait. Un peu comme la Joconde qui nous invite à regarder les autres peintures de Leonard. Les carnets de dessin de Léonard, ce sont des milliers et des milliers de feuillets. Alors il y en a un qui appartient à Bill Gates, je crois que c’est celui sur la médecine notamment. Il y en a un qui appartient à la collection de la Reine d’Angleterre. Il y en a un qui est à Milan, dans une bibliothèque.
Mais tous ces documents aujourd’hui sont régulièrement reproduits dans des ouvrages, photocopiés, numérisés, accessibles par Internet.
C’est accessible par tout le monde.
Et en tout cas, c’est par ces croquis qui sont la base de son travail qu’il a le plus espéré devenir immortel. Alors que finalement, on découvre seulement maintenant et qu’on a plus retenu Leonard le peintre. Finalement, c’est un paradoxe. Il n’aurait jamais pensé rester célèbre par sa peinture mais avait espéré au contraire par ses recherches scientifiques.
Mais tu vois, sans la Joconde, peut-être que sa peinture elle serait restée anecdotique enfin, accessoire on va dire plutôt …
Bien sûr.
Par rapport à sa production scientifique.
Tout à fait.
Là, on rebasculait.
C’est un chemin de traverse qui nous amène finalement au plus profond de ses …
Un homme incroyable.
Incroyable.
Un bon équilibre du cerveau droit et gauche.
Art et science au service de la nature.
Super. Merci beaucoup.
Merci
Merci beaucoup Nicolas, tu as réussi à me laisser sans voix tu vois, être très attentif à toutes ces explications. Merci et à bientôt pour pleins d’autres découvertes.
Merci, à bientôt.